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ai plu, ne fût-ce qu’un peu, et quand elle saura ma venue, il n’est pas possible qu’elle ne m’aime pas comme je l’aime.


Même jour, 9 h. soir.

Il y a aujourd’hui huit jours, c’était le lunch… Elle était là, dans la salle à manger de ma tante, debout près de la table des sandwiches et des petits fours… Dire que je ne sais pas même quelle robe elle portait ! Faut-il que j’aie été aveugle ; je n’ai pas senti mon amour pour elle !

Mais c’est égal, je la vois… je la revois tout entière. Je revois ses cheveux noirs, que je n’oserais pas toucher du doigt. Je revois ses yeux vifs qui erraient sans objet par la chambre, et qui se fixaient ensuite sur moi de telle sorte que je ne pouvais plus entendre les mots qu’elle me disait, pour les lire trop avidement dans l’éclat jeune de son regard. J’entends le petit bruit enfantin qu’elle fait souvent avec ses lèvres, avant de commencer à parler. Je revois surtout la grâce particulière de ses gestes, dont l’exquise gaucherie me ravissait. Elle avait des bras qui s’allongeaient sans mesure comme ceux d’une fille de quatorze ans, avec un défaut d’étude qui chez elle semblait adorable. Je la vois encore me servir à boire au dîner où nous étions pour la première fois l’un près de l’autre ; j’avais demandé de l’eau à Charles qui était à sa