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ces 25.000 qui n’ait fait quelques vers dans sa vie, et il y en a environ 1/10, soit 3.000 au plus, qui font des vers régulièrement, comme moi, par fournées. Sur ces 3.000 (par an) il peut y en avoir 100 qui ont fait de jolies choses. Je suis un de ces 100, je le sens : c’est quelque chose. Mais, par siècle, cela fait 10.000 collégiens qui ont fait de jolies choses. Or, combien y a-t-il eu de grands poètes dans ce siècle ? Cinq : Richepin[1], Leconte de Lisle, Sully Prudhomme Barbier et Lamartine. Et de très grands ? Deux : Musset et Hugo. Et nous sommes le siècle le plus riche en poètes ! J’ai donc une chance sur 1.000 pour être quelqu’un. Il me semble que je l’oublie trop souvent.


Même jour, 9 h. soir.

Oh ! les femmes ! les femmes…

Et j’ai dix-sept ans ! et pas un baiser d’amour, pas un mot ! pas un sourire, et je brûle, je brûle !

Oh ! le soir, quand je suis couché, que Georges m’a dit bonsoir et m’a embrassé, que tout est noir dans la chambre et que je suis seul dans mon grand lit, je me figure presser sur moi la jeune fille de mes rêves, étroitement, amoureusement… Et

  1. Monstre ! Richepin et pas Vigny ! Et Baudelaire ? Voilà ce que c’est que de parler quand on n’a rien lu. (Fév. 90.)