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croisés dans sa robe royale et le front toujours ceint de la bandelette sacrée.

Une tempête de cris monta jusqu’à lui :

— Assassin ! Barbare ! Allié de Philippe ! criait la foule. Où est-il, cet Olynthien ? Nous lui ferons des funérailles comme à un général vainqueur. Et le poison pour toi ! le poison pour toi !

Parrhasios laissa cette colère se déchaîner et se ralentir. Puis, saisissant à ses pieds, par les deux côtés du panneau, « Prométhée » qu’il venait de peindre, il le souleva lentement et comme religieusement, d’abord au-dessus de la balustrade, puis au-dessus même de son front, si bien qu’il fut caché par lui, et l’œuvre apparut à la place de l’Homme.


Une brusque secousse ébranla cette foule qui s’approcha encore. Un prodige lui apparaissait : le tableau de la douleur humaine et de l’éternelle défaite par la souffrance et par la mort palpitait au-dessus de ses têtes. Devant ses innombrables yeux, le sommet de la grandeur tragique se découvrait là pour la première fois. Elle frémit. Quelques hommes pleurèrent. Un silence de temple se répandit jusqu’aux dernières bouches de la multitude, et comme des huées essayaient de renaître, une acclamation tonnante les étouffa dans le bruit de la Gloire.


Le Caire, 1901.