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humaine. J’ai vu des milliers de modèles : jamais un qui fût comparable à ce Nicostrate d’Olynthe.

Il était la statue de l’Homme dans toute sa grandeur, à l’âge où la force devient de la puissance. Parrhasios le nommait Prométhée ; mais n’importe quel nom éternel n’eût pas été moins digne de son nouvel esclave. Cet homme dans mon atelier pendant un an de mon travail, et j’eusse fait assez d’ébauches pour emplir toute ma carrière de Dzeus, de Ploutons, de Poseidons, des quinze dieux à barbe grise qu’on appelle les Dominateurs. Il évoquait l’Olympe à ses pieds. Quand il allongeait le bras, on y voyait le Trident, et quand il le haussait, on y voyait la Foudre. Les lignes de ses pectoraux s’unissaient à ses épaules avec un air de majesté qui divinisait tous les gestes.

Ah ! pensai-je, Parrhasios songe à me donner des femmes, comme si j’allais passer mes soirs entre les stèles du Céramique, et certes, il ne comprend pas que je renoncerais à l’amour lui-même en échange de son Nicostrate. Les dieux lui inspireront-ils de me l’envoyer jamais, fût-ce pour une journée ?

Ainsi je remuais en mon cœur des malaises de jalousie ; et puis je me consolais à demi en sachant que, si ce n’était le marbre, au moins la cire allait fixer de sa matière presque aussi pure tout ce qui brillait là d’immortel.

En effet, Nicostrate fut perdu pour le marbre.

Je ne l’eus jamais pour modèle.