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j’avais pris ce dont personne ne voulait, le côté nord, travail énorme et perpétuellement dans l’ombre. Pendant cinq ans, je sculptai ainsi des Victoires et des Amazones qui vivaient au soleil comme des femmes ; mais, chaque fois qu’il me fallait en fixer une pour toujours dans la zone obscure du Mausolée, il me semblait la voir mourir, et je pleurais, mes petits enfants.

Enfin, ma tâche vint à son terme. Je me préoccupai de renter en Attique. Cette année-là, comme aujourd’hui, la mer Égée était peu sûre. Guerre partout. Haines de ville à ville. Athènes, d’ailleurs, était vaincue. Le jour où je voulus partir, je ne trouvai pas d’armateur qui se souciât d’aller au Pirée. Les Cariens, en bons négociants, se retournaient vers le vainqueur, et dès que la prise d’Olynthe eut fait tomber Khalkis dans les mains du Macédonien, tous les marchands d’Halicarnasse gonflèrent leurs voiles sur l’Eubée pour y vendre des robes de Cos avec des courtisanes de Cnide.

Moi aussi, je partis pour Khalkis. « L’Euripe, me disais-je, n’est pas large, et d’Aulis, par Tanagre et la route d’Akharnées, j’aurai, bientôt gagné Athènes. » Ce voyage sur mer fut désagréable ; on me traita fort mal dans mon coin, où pourtant je tenais peu de place. Mon nom alors n’avait pas le même son qu’aujourd’hui sans doute, et le Mausolée était trop neuf pour mériter qu’on