Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 5.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simple, vraiment, presque banale, sauf un point ; mais elle m’a tué.


J’étais sorti et je marchais lentement dans la rue sans ombre, quand j’entendis derrière moi un petit pas qui courait. Je me retournai : elle m’avait rejoint.

« Merci. Monsieur », me dit-elle.

Et je vis que sa voix avait changé. Je ne m’étais pas rendu compte de l’effet que ma petite offrande avait dû produire sur elle ; mais cette fois je m’aperçus qu’il était considérable. Un napoléon, c’est vingt-quatre piécettes, le prix d’un bouquet : pour une cigarrera, c’est le travail d’un mois. En outre, c’était une pièce d’or, et l’or ne se voit guère en Espagne, qu’à la devanture du changeur…

J’avais évoqué, sans le vouloir, toute l’émotion de la richesse.

Bien entendu, elle s’était empressée de laisser là les paquets de cigarettes qu’elle bourrait depuis le matin. Elle avait repris son jupon, ses bas, son châle jaune, son éventail et, les joues poudrées à la hâte elle m’avait bien vite retrouvé.


— Venez continua-t-elle, vous êtes mon ami. Reconduisez-moi chez maman, puisque j’ai congé, grâce à vous.

— Où demeure-t-elle, ta mère ?

— Calle Manteros, tout près. Vous avez été