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Arès. L’absence de flûtes et de cithares en détournait Apollon. La triple Hécate y brillait seule, comme un visage de méduse sur un paysage pétrifié.

« Or un homme y vint habiter, qui était d’une race plus heureuse et ne marchait pas vêtu de peaux comme les sauvages de la montagne.

« Il portait une longue robe blanche qui traînait un peu derrière lui. Par les molles clairières des bois il aimait à errer la nuit dans la lumière de la lune, tenant à la main une petite carapace de tortue où étaient plantées deux cornes d’aurochs entre lesquelles trois cordes d’argent se tendaient.

« Quand ses doigts touchaient les cordes, une délicieuse musique y passait, beaucoup plus douce que le bruit des sources, ou que les phrases du vent dans les arbres ou que les mouvements des avoines. La première fois qu’il se mit à jouer, trois tigres couchés s’éveillèrent, si prodigieusement charmés qu’ils ne lui firent aucun mal, mais s’approchèrent le plus qu’ils purent et se retirèrent quand il cessa. Le lendemain, il y en eut bien plus encore, et des loups, et des hyènes, et des serpents droits sur leur queue.

« Si bien qu’après fort peu de temps les animaux venaient eux-mêmes le prier de jouer pour eux. Il lui arrivait souvent qu’un ours vînt seul auprès de lui et s’en allât content de trois accords