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les rétablit. Si un financier suspect s’attribue, à coups de réclame, une prospérité factice, le Boulevard le démasque, et s’abstient. Pas une campagne qu’il ne pressente, pas un mouvement d’opinion qu’il n’ait d’avance mesuré dans son étendue et ses conséquences. Il est l’observatoire du monde invisible.

De toutes parts la Presse l’entoure et l’envahit : c’est sa conquête. Elle possède la place et l’avenue de l’Opéra, la rue Richelieu, la rue du Croissant, la rue Montmartre et le faubourg Montmartre, la rue du Helder et la rue Drouot, la rue Réaumur et la rue Lafayette. Sur le Boulevard elle est dans ses murailles. C’est là qu’elle se retranche et se concerte. Le reste de la ville n’est que son champ d’action ; le Boulevard est sa forteresse. Elle l’a voulu à son image. Dans le langage contemporain, elle et lui sont synonymes. Elle lui a donné son caractère, ses mœurs, presque sa physionomie. Elle seule l’a créé tel qu’il est ; elle seule pourrait le tuer, en l’abandonnant.

De là vient que le Boulevard se transforme selon les jours et non selon les années. Tel il était il y a vingt ans, tel nous le revoyons aujourd’hui, mais dans l’espace d’une nuit, il se métamorphose. Il a ses marées et ses tempêtes.

La monotonie générale des autres voies parisiennes est une règle à laquelle il ne se soumet point. Une rue est toujours semblable à elle-