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parfois, à cent mètres au-dessus du niveau des eaux, certaines nuances flottantes dans l’air supérieur… Mais quelle monstrueuse et barbare construction il dressait là, au coin de ces deux places délicates. Comme il chargeait de sa masse indue la muraille rouge du palais oriental et les cinq coupoles rondes de la mosquée chrétienne ! Comme il était inutile, encombrant et inesthétique ! On va le réédifier… Pourquoi ?

Parce que le Campanile possède le privilège universellement reconnu aux seuls monuments historiques ; parce que ni loi ni opinion ne défendent contre la pioche des démolisseurs ni la rue vénérable ni le jardin nouveau ; parce que les municipalités s’imaginent préserver le caractère de leurs villes en laissant subsister quelques tours vétustes, sans comprendre que l’âme des cités ne perche pas sur les girouettes, mais palpite au sein des rues.

Venise aura le sort d’Alger, le sort de Santa-Lucia : on démolira maison par maison tout ce qui fit sa beauté antique. On a déjà troublé les eaux du Grand Canal avec les roues violentes des bateaux à vapeur. Un jour, par mesure sanitaire, on comblera tous les canaux. Il y passera des tramways de banlieue, c’est-à dire des trains de cinq voitures. C’en sera fait pour toujours de tes trois beautés, Cité des Eaux, Cité du Rouge, Cité des Soirs Silencieux ; mais les ineffables