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déplorable par rapport aux monuments d’alentour. Enfin, il était quelconque, dans une ville où rien n’est indiffèrent. Désormais, il n’existe plus, et l’on parle de le réédifier.

Pourquoi ?


Rappelez-vous tout ce qui apparaît comme à jamais inoubliable dans la brume où se confondent les « souvenirs de voyage ».

Est-ce tel monument romain, telle église picarde ou telle mosquée d’Orient ? Allons donc ! c’est une rue verte, un carrefour imprévu, un détour de canal entre deux murs cassés, une collaboration de la nature et de l’homme, ou la nature, peu à peu, envahit et enveloppe la pierre. C’est encore une voie antique et surpeuplée, irrégulière, biscornue, multicolore, retentissante, un ruisseau de vie dont les hautes berges se sont amoncelées sous l’effort d’une race, une rue qui n’est pas la fille d’un architecte, mais l’œuvre d’une population.

Il y a dans certaines villes jusqu’ici préservées, il y a de ces rues extraordinaires, remarquables tantôt par leur fourmillement et tantôt par leur silence, car la variété des villes est infinie. Remparts déserts, ruelles vives de faubourgs, ombres de cathédrales, impasses bleues, quais penchants, c’est de vous que nous revient sans cesse la réminiscence triste et tendre qui traîne devant nos yeux clos les admirations passées.