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Moi. — Vous ne faites que parler ? Prenez garde. Avec quatre pas, Régina B. en dirait plus que vous.

La Danseuse. — Et pourquoi ? Que reprochez-vous tant à la danse italienne ?

Moi. — Qu’elle m’ennuie.

La Danseuse. — Elle a passionné le xviiie siècle. Elle a enflammé les romantiques. Ne chercherez-vous pas à comprendre par quels sortilèges ?

Moi. — Je ne le puis plus. Que voulez-vous m’enseigner ? Que Mlle Tagliani a été une artiste incomparable ? J’en suis certain. J’ai en son génie une sorte de foi qui repose, comme l’autre foi, sur de grands témoignages. Je sais qu’elle avait tant de charme, tant de talent, qu’elle ne pouvait inspirer que des imitatrices. Le principe de sa danse était sauf. On ne le discutait même pas. Mais vous savez bien qu’il s’est perdu…

La Danseuse. — C’est trop fort !

Moi. — Et quand, cinquante ans après elle, j’ai vu Mlle Lubra…

La Danseuse. — Elle dansait fort bien.

Moi. — Feue Mlle Lubra n’a jamais su danser.

La Danseuse. — Et Mlle Mauri ?

Moi. — C’est autre chose. Mlle Rosita Mauri dansait toute droite comme un petit bâton de bois, et c’était si gentil, si malin, si net, si délicatement spirituel qu’il n’était pas possible de ne pas l’applaudir quand elle avait fini sa variation.