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change de valeur selon la température et la couleur du temps. Entre les courtisanes grecques et les courtisanes françaises, il y avait identité presque absolue d’âme, de caractère et de passions, parce qu’elles appartenaient à notre famille aryenne et parce que les soixante générations qui nous séparent d’elles sont peu de chose dans l’histoire d’une race. Et néanmoins, ni le législateur, ni l’opinion publique ne leur ont accordé la même place dans la société. Cela tient sans doute à ce qu’une religion d’origine sémitique nous a donné des principes étrangers à nos instincts ; mais c’est surtout affaire de climat, de lumière et de chaleur.

Autour des courtisanes antiques, le public français évoque généralement le décor d’Alexandrie. En réalité, Alexandrie était une immense ville de négoce, trois fois ou quatre fois plus vaste que nous ne la voyons de nos jours ; les courtisanes y pullulaient plus que partout ailleurs, mais elles n’y jouaient pas le rôle prépondérant que leurs pareilles avaient connu, quelques siècles plus tôt, à Corinthe.

Corinthe fut leur cité par excellence. Rien de ce que nous offre le monde actuel ne saurait nous représenter un exemple comparable. C’était la ville des femmes, comme aujourd’hui Dawson est la ville de l’or, et le Creuset la ville de l’acier. L’amour était le fruit du pays. On venait là, de tout l’empire hellène, sans autre but que d’y acheter le plaisir de la chair et de se concilier la déesse qui le dispensait à ses fidèles. Ville de volupté, mais d’abord de pèlerinage, Corinthe offrait au voyageur deux ordres de courtisanes, les laïques et les religieuses, qu’il vaudrait peut-être mieux nommer les séculières et les régulières, car les unes n’étaient pas moins pieuses que les autres, et toutes se croyaient également agréables à leur divinité nue.

Les courtisanes religieuses étaient cloîtrées, au nombre de dix mille, dans l’enceinte d’un temple magnifique, sur lequel nous savons malheureusement peu de chose, d’abord parce qu’il a été incendié par les Romains, et