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LE ROMAN D’UN ENFANT

j’allais être réveillé par les eaux faisant grand bruit, par la trompette de l’ange sonnant dans l’air l’immense épouvante de la fin du monde… Et je ne m’endormais pas sans avoir longuement fait ma prière et demandé grâce au Seigneur.

Je ne crois pas, du reste, que jamais petit être ait eu une conscience plus timorée que la mienne ; à propos de tout, c’étaient des excès de scrupules, qui, souvent incompris de ceux qui m’aimaient le plus, me rendaient le cœur très gros. Ainsi, je me rappelle avoir été tourmenté pendant des journées entières par la seule inquiétude d’avoir dit quelque chose, d’avoir fait un récit qui ne fût pas rigoureusement exact. À tel point que presque toujours, quand j’avais fini de raconter ou d’affirmer, on m’entendait balbutier à voix basse, du ton de quelqu’un qui marmotte sur un rosaire, cette même phrase invariable :« Après tout, je ne sais peut-être pas très bien comment ça s’est passé. » C’est encore avec une sorte d’oppression rétrospective que je songe à ces mille petits remords et craintes du péché, qui, de ma sixième à ma huitième année, ont jeté du froid, de l’ombre sur mon enfance.

À cette époque, si l’on me demandait ce que je voulais être dans l’avenir, sans hésiter je répondais : « Je serai pasteur, » — et ma vocation religieuse