Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
13
LE ROMAN D’UN ENFANT

herbes sauvages. Puis je m’étais accroupi, à la façon de tous les petits enfants, pour m’enfouir davantage dans tout cela qui me dépassait déjà grandement quand j’étais debout. Et je restais tranquille, les yeux dilatés, l’esprit en éveil, à la fois effrayé et charmé. Ce que j’éprouvais, en présence de ces choses nouvelles, était encore moins de l’étonnement que du ressouvenir ; la splendeur des plantes vertes, qui m’enlaçait de si près, je savais qu’elle était partout, jusque dans les profondeurs jamais vues de la campagne ; je la sentais autour de moi, triste et immense, déjà vaguement connue ; elle me faisait peur, mais elle m’attirait cependant, et, pour rester là le plus longtemps possible sans qu’on vînt me chercher, je me cachais encore davantage, ayant pris sans doute l’expression de figure d’un petit Peau-Rouge dans la joie de ses forêts retrouvées.

Mais tout à coup je m’entendis appeler : « Pierre ! Pierre ! mon petit Pierrot ! » Et sans répondre, je m’aplatis bien vite au ras du sol, sous les herbages et les fines branches fenouillées des asperges.

Encore : « Pierre ! Pierre ! » C’était Lucette ; je reconnaissais bien sa voix, et même, à son petit ton moqueur, je comprenais qu’elle me voyait dans ma cache verte. Mais je ne la voyais point, moi ; j’avais beau regarder de tous les côtés : personne !