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LE ROMAN D’UN ENFANT

dant une demi-seconde, — et de retomber, — et de profiter de l’élan pour m’élever encore, et de recommencer toujours, pouf pouf, en faisant beaucoup de bruit par terre, et en sentant dans ma tête un petit vertige particulier très agréable… De ce moment, je savais sauter, je savais courir !

J’ai la conviction que c’était bien la première fois, tant je me rappelle nettement mon amusement extrême et ma joie étonnée.

— Ah ! mon Dieu, mais qu’est-ce qu’il a ce petit, ce soir ? disait ma grand’tante Berthe un peu inquiète. Et j’entends encore le son de sa voix brusque.

Mais je sautais toujours. Comme ces petites mouches étourdies, grisées de lumière, qui tournoient le soir autour des lampes, je sautais toujours dans ce rond lumineux qui s’élargissait, se rétrécissait, se déformait, dont les contours vacillaient comme les flammes.

Et tout cela m’est encore si bien présent, que j’ai gardé dans mes yeux les moindres rayures de ce tapis sur lequel la scène se passait. Il était d’une certaine étoffe inusable, tissée dans le pays par les tisserands campagnards, et aujourd’hui tout à fait démodée, qu’on appelait « nouïs ». (Notre maison d’alors était restée telle que ma grand mère mater-