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LE ROMAN D’UN ENFANT

pouvait être plus pur en effet que celui de mon pays, plus méridional.

Et autour de moi, montaient dans l’air de grandes silhouettes bleuâtres que je ne pouvais me lasser de contempler : les montagnes jamais vues, me donnant cette impression de dépaysement que j’avais tant désirée, m’indiquant que mon premier petit rêve était bien réellement accompli…

Je devais revenir passer plusieurs étés dans ce village et m’y acclimater au point d’apprendre le patois méridional que les bonnes gens y parlaient. En somme les deux pays de mon enfance ont été la Saintonge et celui-là, ensoleillés tous deux.

La Bretagne, que beaucoup de gens me donnent pour patrie, je ne l’ai vue que bien plus tard, à dix-sept ans, et j’ai été très long à l’aimer, — ce qui fait sans doute que je l’ai aimée davantage. Elle m’avait causé d’abord une oppression et une tristesse extrêmes ; ce fut mon frère Yves qui commença de m’initier à son charme mélancolique, de me faire pénétrer dans l’intimité de ses chaumières et de ses chapelles des bois. Et ensuite, l’influence qu’une jeune fille du pays de Tréguier exerça sur mon imagination, très tard, vers mes vingt-sept ans, décida tout à fait mon amour pour cette patrie adoptée.