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les vieux christs qui gardaient la campagne étendaient leurs bras noirs sur les calvaires, comme de vrais hommes suppliciés, et, dans le lointain, la Manche se détachait en clair, en grand miroir jaune sur un ciel qui était déjà obscurci par le bas, déjà ténébreux vers l’horizon. Et dans ce pays, même ce calme, même ces beaux temps, étaient mélancoliques ; il restait, malgré tout, une inquiétude planant sur les choses ; une anxiété venue de la mer à qui tant d’existences étaient confiées et dont l’éternelle menace n’était qu’endormie.

Gaud, qui songeait en chemin, ne trouvait jamais assez longue sa course de retour au grand air. On sentait l’odeur salée des grèves, et l’odeur douce de certaines fleurs qui croissent sur les falaises entre les épines maigres. Sans la grand’mère Yvonne qui l’attendait au logis, volontiers elle se serait attardée dans ces sentiers d’ajoncs, à la manière de ces belles demoiselles qui aiment à rêver, les soirs d’été, dans les parcs.

En traversant ce pays, il lui revenait bien aussi quelques souvenirs de sa petite enfance ; mais comme ils étaient effacés à présent, reculés, amoindris par son amour ! Malgré tout, elle