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trés que des moines, causaient peu entre eux. Chacun tenant sa ligne, restait pendant des heures et des heures à son même poste invariable, les bras seuls occupés au travail incessant de la pêche. Ils n’étaient séparés les uns des autres que de deux ou trois mètres, et ils finissaient par ne plus se voir.

Ce calme de la brume, cette obscurité blanche endormait l’esprit. Tout en pêchant, on se chantait pour soi-même quelque air du pays à demi-voix, de peur d’éloigner les poissons. Les pensées se faisaient plus lentes et plus rares ; elles semblaient se distendre, s’allonger en durée afin d’arriver à remplir le temps sans y laisser des vides, des intervalles de non-être. On n’avait plus du tout l’idée aux femmes, parce qu’il faisait déjà froid ; mais on rêvait à des choses incohérentes ou merveilleuses, comme dans le sommeil, et la trame de ces rêves était aussi peu serrée qu’un brouillard…

Ce brumeux mois d’août, il avait coutume de clore ainsi chaque année, d’une manière triste et tranquille, la saison d’Islande. Autrement c’était toujours la même plénitude de vie physique, gonflant les poitrines et faisant aux marins des muscles durs.