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avait forme de quelqu’un qui s’affaisse, avec deux bras qui se tendent. Et à présent qu’il avait commencé à voir là cette apparence, il lui semblait que ce fût une vraie ombre humaine, agrandie, rendue gigantesque à force de venir de loin.

Puis, dans son imagination où flottaient ensemble les rêves indicibles et les croyances primitives, cette ombre triste, effondrée au bout de ce ciel de ténèbres, se mêlait peu à peu au souvenir de son frère mort, comme une dernière manifestation de lui.

Il était coutumier de ces étranges associations d’images, comme il s’en forme surtout au commencement de la vie, dans la tête des enfants… Mais les mots, si vagues qu’ils soient, restent encore trop précis pour exprimer ces choses ; il faudrait cette langue incertaine qui se parle quelquefois dans les rêves, et dont on ne retient au réveil que d’énigmatiques fragments n’ayant plus de sens.

À contempler ce nuage, il sentait venir une tristesse profonde, angoissée, pleine d’inconnu et de mystère, qui lui glaçait l’âme ; beaucoup mieux que tout à l’heure, il comprenait maintenant que