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par le vent, entre des femmes en waterproof et en coiffe pointue de mousseline, qui attendent là-haut, à l’entrée des grands escaliers de granit.

Leurs maris sont revenus sur ce même bâtiment qui a ramené Yves, et elles sont là postées, soutenues déjà par quelque peu d’eau-de-vie, elles font le guet, l’œil moitié égrillard, moitié attendri.

Ces vieux marins qu’elles attendent étaient jadis peut-être de braves gabiers durs à la peine ; et puis, gangrenés par les séjours dans Brest et l’ivrognerie, ils ont épousé ces créatures et sont tombés dans les bas-fonds sordides de la ville.

Derrière ces dames, il y a d’autres groupes encore, où la vue se repose : des jeunes femmes qui se tiennent dignes, vraies femmes de marins celles-ci, recueillies dans la joie de revoir leur fiancé ou leur mari, et regardant avec anxiété dans ce grand trou béant du port, par où les désirés vont venir. Il y a des mères, arrivées des villages, ayant mis leur beau costume breton des fêtes, la grande coiffe et la robe de drap noir à broderies de soie ; la pluie les gâte pourtant, ces belles hardes qu’on ne renouvelle pas deux fois dans la vie ; mais il faut bien faire honneur à ce