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son tablier. Il était dans une rue de Brest, avant jour, un matin de novembre, sous la pluie fine. Il se serrait contre sa mère, qui, elle aussi, pleurait.

Elle était là, à ce coin de rue, Marie Kermadec, attendant, rôdant dans l’obscurité comme une mauvaise femme. Yves rentrerait-il ?… Où était-il ?… où avait-il passé sa nuit ? dans quel bouge ? Retournerait-il au moins à son bord, à l’heure du coup de canon, à temps pour l’appel ?

D’autres femmes attendaient aussi.

Une passa avec son mari, un quartier-maître comme Yves ; il sortait ivre d’un cabaret qu’on venait d’ouvrir. Il essaya de marcher, fit quelques pas, puis tomba lourdement à terre, avec un bruit lugubre de sa tête contre le granit dur.

— Ah ! mon Dieu ! pleurait la femme ; jésus, sainte Vierge Marie, ayez pitié de nous !… Jamais je ne l’avais vu comme ça encore !…

Marie Kermadec l’aida à le remettre debout. Il avait une jolie figure douce et sérieuse.

— Merci, madame !

Et la femme continua de le faire marcher, en le soutenant de toutes ses forces.

Petit Pierre pleurait assez doucement, comme