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MADAME CHRYSANTHÈME

eût une plaine si étendue dans ce fond de vallée.

Par exemple, il me serait impossible de dire où je suis, dans quelle direction nous avons couru ; je m’abandonne à mon djin et au hasard.

Et quel homme-vapeur, mon djin ! J’étais habitué aux coureurs chinois, mais ce n’était rien de pareil. Quand j’écarte mes toiles cirées pour regarder quelque chose, c’est toujours lui, cela va sans dire, que j’aperçois au premier plan ; ses deux jambes nues, fauves, musclées, détalant l’une devant l’autre, éclaboussant tout, et son dos de hérisson, courbé sous la pluie. — Les gens qui voient passer ce petit char, si arrosé, se doutent-ils qu’il renferme un prétendant en quête d’une épouse ?…


Enfin mon équipage s’arrête, et mon djin, souriant, avec des précautions pour ne pas me faire couler de nouvelles rivières dans le cou, abaisse la capote de ma voiture ; il y a une accalmie dans le déluge, il ne pleut plus. — Je n’avais pas encore vu son visage ; il est assez joli, par exception ; c’est un jeune homme d’une trentaine d’années, à l’air vif et vigoureux, au regard ouvert… Et qui m’eût dit que, peu de jours plus tard, ce même djin…