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LES DERNIERS JOURS DE PÉKIN.

— tout ce monde, correct, sanglé, irréprochablement militaire, au milieu de la fantaisie chinoise d’un tel cadre.

C’est la première fois de ma vie que je viens m’asseoir à une table d’officiers allemands, et je n’avais pas prévu la soudaine angoisse d’arriver en invité au milieu d’eux… Ces souvenirs d’il y a plus de trente ans ! Les aspects particuliers que prit pour moi l’année terrible !…

Oh ! ce long hiver de 1870, passé à errer avec un mauvais petit bateau, dans les coups de vent, sur les côtes prussiennes ! Mon poste de veille, presque enfant que j’étais alors, dans le froid de la hune, et la silhouette, si souvent aperçue à l’horizon noir, d’un certain Kœnig-Wilhelm lancé à notre poursuite, devant lequel il fallait toujours fuir, tandis que ses obus, derrière nous, sautillaient parfois sur l’eau glacée… Le désespoir alors de sentir notre petit rôle si inutile et sacrifié, au milieu de cette mer !… On ne savait même rien, que longtemps après ; les nouvelles nous arrivaient là-bas si rares, dans les sinistres plis cachetés