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LES DERNIERS JOURS DE PÉKIN.

plètes, ils doivent rester là pour crier vengeance. Rien n’est changé dans ce lieu d’abomination, sauf qu’il ne gèle plus, sauf que le soleil brûle, et que, çà et là, sur le sol poudreux, fleurissent des pissenlits jaunes ou des giroflées violettes.

Quant aux grands puits béants que l’on avait comblés avec des cadavres de torturés, le temps a commencé d’y faire son œuvre : les martyrs se sont desséchés ; le vent a jeté sur eux de la terre et de la poussière ; ils ne forment plus qu’un même et compact amas grisâtre, duquel cependant s’élèvent encore des mains, des pieds, des crânes.

Mais, dans l’un de ces puits, sur cette sorte de croûte humaine qui monte à un mètre environ du sol, gît le cadavre d’un pauvre bébé chinois, vêtu d’une petite chemise déchirée et emmailloté d’un morceau de laine rouge ; — un cadavre tout frais et peut-être à peine raidi. C’est une petite fille sans doute, car pour les filles seulement, les Chinois ont de ces dédains atroces ; nos bonnes Sœurs, le long des chemins, en ramassent ainsi tous les