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bre par où l’on arrive dans ce lieu ; il y en a aussi de montés à différentes hauteurs, sur des roches en piédestal superbe — et les flammes gaies éclairent les figures sombres, les dents blanches, les sabres brillants, les longs burnous, les majestueuses poses, ou les accroupissements simiesques et le pêle-mêle des membres nus.

C’est le jour de cuire sous la cendre les pains pour la semaine — les pains sans levain, durs comme pierre — ce qui exige de plus grands feux que de coutume, des feux magnifiques de branchages parfumés.

Et il faut tant de flammes pour la cuisson de ces pains, des flammes si hautes, si rouges, que tous les granits surplombants s’incendient ; ils s’enlèvent en couleur de braise, sur ce ciel, tout à l’heure lumineux, à présent presque noir, par contraste, et sans étoiles, — sorte de grand trou d’ombre, au fond duquel s’est reculée, reculée, une plus pâle lune devenue mourante et bleue.

Et nous remplissons ce recoin des solitudes, où l’air, avant nous, semblait vierge, d’une complexe senteur bédouine, odeur musquée des chameaux, odeur fauve des hommes, parfum des chibouks et parfum des branches aromatiques qui brûlent.