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des voiles de laine que des cordes attachent sur nos fronts, même un peu fantômes, avec notre marche qui ne s’entend pas, en babouches sur l’épaisseur des sables. Il y a dans ce bois un arôme spécial, un air tiède qui sent la mer, le désert et le sauvage. Au-dessus de nos têtes, il passe des bouquets de rigides plumes noires qu’aucune brise n’agite, qui l’un après l’autre, à mesure que nous marchons, se découpent sur le ciel scintillant et clair, sur le croissant d’or.

Et voici la plage, encore rose comme s’il faisait jour ; — et vide, et déserte, il va sans dire ! Le long de ses bords, se déploie le bois mystérieux et magnifique, y jetant de la nuit plus profonde ; les petits murs, de terre mêlée d’ossements, suivent la courbe des grèves et enferment tout ce grand sanctuaire d’arbres ; mais çà et là quelque tige, séparée de la futaie droite, penche au-dehors sa gerbe de plumes, dont l’image confuse se reflète renversée dans l’eau. La mer semble partout entourée par les bleuâtres montagnes, semble fermée comme un lac ; elle est très diaphane, à cette heure nocturne, la mer sans navires, très vaporeuse et spectrale dans des indécisions grises ; sous la lune cependant, elle brille d’une pâle traînée de paillettes. De l’ensemble et du silence des choses se dégage un enchantement som-