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pirons le même air vivifiant et suave ; la couleur des eaux est de la même intensité bleue ; les sables sont rougis du même corail, étincelants des mêmes nacres perdues ; et l’Arabie passe par les mêmes teintes, d’heure en heure plus belles et plus chaudes, — jusqu’à l’instant final où les merveilles du soir seront déployées, comme hier, comme avant-hier, comme depuis le commencement des âges… C’est ici la contrée prodigue de feux, où chaque jour se jouent des féeries de lumière que personne ne regarde.

Il semble que l’atmosphère soit infiniment ténue, presque absente, tant on voit loin et clair ; on se trompe sur les distances, on ne sait plus apprécier rien. De chaque côté de la mer, les deux murailles symétriques de granit se déroulent ; avec lenteur, à mesure que chemine la caravane, les sommets, les caps des deux rives se succèdent, aussi nettement dessinés au loin qu’auprès et gardant néanmoins des aspects à moitié chimériques, à force d’être éblouissants, sous ces buées de lumière qu’un petit tremblement de chaleur sans cesse agite. La mer seule, la mer au bleu trop bleu, aux contours trop durs, semble une chose vraiment réelle et tangible ; mais on la dirait comme suspendue dans le vide, au milieu de cette espèce de grande nuée, de grande