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chaos de braises vives, de charbons roses, entassés en muraille dans le ciel déjà assombri, tandis que la mer déserte, à ses pieds, semble devenue une chose éclairante par elle-même, peut-être une plaine d’émeraude illuminée par en dessous.

Et, en avant de cette fantasmagorie immense, qui s’en va toute pareille, comme une bande infinie, jusqu’au fond des lointains, les palmiers, plus sveltes en silhouettes, découpent leurs plumes très légères.

Nos veilleurs arrivent, graves et beaux, visages presque divins sous les voiles blancs et les torsades de laine noire ; silencieux, parce que l’heure du saint Moghreb approche, ils s’asseyent par groupes sur le sable, devant les branchages qu’ils allumeront pour la nuit — et ils attendent…

Alors, tout à coup, du haut de la petite citadelle solitaire, la voix du muezzin s’élève, une voix haute, claire, qui a le mordant triste et doux des hautbois, qui fait frissonner et qui fait prier, qui plane dans l’air d’un grand vol et comme avec un tremblement d’ailes… Devant ces magnificences de la terre et du ciel, dont l’homme est confondu, la voix chante, chante, psalmodie au dieu de l’Islam, qui est aussi le dieu des grands déserts…

Puis la nuit descend, dans des transparences bleuâtres où, là-bas, les granits d’Arabie tardent