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Et cette angoisse va croissant l’après-midi, tandis que nos dromadaires continuent de cheminer en nous berçant, dans ces mêmes vallées toujours plus sinistres, aux aspects de ruines trop farouches et trop grandes. C’est quelque chose d’indéfinissable, une nostalgie d’ailleurs, sans doute, un regret pour ce printemps que nous perdons ici et qui, dans d’autres pays, amène des verdures et des fleurs. Ici, rien, jamais ; c’est une partie maudite de la terre, qui voudrait demeurer impénétrée et où l’homme ne devrait pas venir… Et, à la merci de ces Bédouins qui nous mènent, nous nous enfonçons là-dedans toujours plus loin, toujours plus loin, dans tout un inconnu qui va s’assombrissant malgré le lourd soleil et où semblent couver on ne sait quelles muettes menaces de destruction…



Mais le soir revient, le soir avec sa magie, et nous nous laissons charmer encore.

Autour de notre petit campement confiant, autour de notre horizon rude où les menaces semblent à présent endormies, le ciel crépusculaire vient allumer une incomparable bordure rose, orangée, puis verte, qui monte par degrés au zénith apaisé et éteint.