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de nos tentes. Ailleurs qu’ici, dans les pays du nord, on souffrirait cruellement d’un tel froid, à peine vêtus comme nous sommes et la poitrine au vent ; mais, dans cet éclat de lumière et de soleil, la gelée, si invraisemblable, se sent à peine, et l’air est du reste si sec, si vivifiant, que la force en est doublée pour tout endurer.

Autour de nous ce matin, il y a grande clameur, au soleil levant. Tous les Bédouins refusés hier, et qui ont couché près de nous, ne peuvent se décider à partir sans un salaire quelconque et réclament aux heureux qui vont nous suivre une partie de ce que nous leur avons donné. Alors des discussions bruyantes se sont engagées, qui retardent encore notre départ. Mais c’est sans grande âpreté ce matin, presque pour rire, — et par besoin de donner de la voix, de dilater sa poitrine, de l’emplir d’air pur pour crier, à la façon des bêtes, à la façon de nos chameaux qui, chaque fois, saluent par des grondements de fauves le retour du soleil… Et la lumière virginale de sept heures épand sa magnificence sur cette scène primitive, glorifie ces hommes en haillons immondes, ennoblit leurs grands gestes et les drape comme des dieux…