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PAYS SANS NOM

moi-même j’ai eu la notion de cet éloignement effroyable. C’était une plaine pierreuse, nue, déserte, où il faisait terriblement chaud et lourd, sous un morne ciel crépusculaire ; mais elle n’avait rien de bien particulier dans son aspect, — comme, par exemple, certaines plaines du Centre-Afrique, qui semblent insignifiantes par elles-mêmes, qui ont un air quelconque et qui pourtant sont d’un si difficile et dangereux accès. Si je n’avais pas su, j’aurais pu me croire n’importe où ; mais je savais d’avance, par une sorte d’intuition immédiate, et alors cela m’oppressait d’être là ; je me sentais en proie à la peur des distances sans fin, à l’angoisse des trop longs voyages dont on ne peut plus revenir.

De loin en loin, sur cette plaine, poussaient des petits arbres rabougris, dont les branches noires se contournaient sur elles-mêmes par des séries de cassures rectangu-