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UNE BÊTE GALEUSE

voir pitié d’une façon intelligente. Voici que son regard, infiniment triste, tout en se vitrifiant dans la mort, continuait de me poursuivre comme d’un reproche : « Pourquoi t’es-tu mêlé de ma destinée ? Sans toi, j’aurais pu traîner quelque temps de plus, avoir encore quelques petites pensées pendant au moins une semaine. Il me restait assez de force pour sauter sur les appuis de tes fenêtres, où les chiens ne me tourmentaient pas trop, où je n’avais pas trop froid ; le matin surtout, quand le soleil y donnait, je passais là quelques heures presque supportables, à regarder autour de moi le mouvement de la vie, à m’intéresser aux allées et venues des autres chats, à avoir encore conscience de quelque chose ; tandis qu’à présent je vais me décomposer à jamais en je ne sais quoi d’autre qui ne se souviendra pas ; à présent je ne serai plus... »

J’aurais dû me rappeler, en effet, que les