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RÊVE

de lointain exil, quelque chose comme ce que l’on devait éprouver au siècle passé dans les rues de la Martinique ou de la Réunion, mais avec la grande lumière en moins, tout cela vu dans cette pénombre où vivent les morts. De grands oiseaux tournoyaient dans le ciel lourd ; malgré cette obscurité, on avait conscience de n’être qu’à cette heure encore claire qui vient après le soleil couché. Évidemment nous accomplissions là un acte habituel ; dans ces ténèbres toujours plus épaisses, qui n’étaient pas celles de la nuit, nous refaisions notre promenade du soir.

Mais les impressions perçues allaient s’éteignant toujours ; les deux femmes n’étaient plus visibles ; il ne me restait d’elles que la notion de deux spectres légers et doux cheminant à mes côtés… Puis, plus rien ; tout s’éteignit à jamais dans la nuit absolue du vrai sommeil.