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semble bien être resté immuable, — ainsi que ce faubourg de Dioudjendji que j’habitais, à mi-montagne ; — mais, dans la concession européenne, et partout sur les quais nouveaux, que de bâtisses modernes, en style de n’importe où ! Que d’ateliers fumants, de magasins et de cabarets !

Et puis, où sont donc ces belles grandes jonques, à membrure d’oiseau, qui avaient la grâce des cygnes ? La baie de Nagasaki jadis en était peuplée ; majestueuses, avec leur poupe de trirème, souples, légères, on les voyait aller et venir par tous les vents ; des petits athlètes jaunes, nus comme des antiques, manœuvraient lestement leurs voiles à mille plis, et elles glissaient en silence parmi les verdures des rives. Il en reste bien encore quelques-unes, mais caduques, déjetées, et que l’on dirait perdues aujourd’hui dans la foule des affreux batelets en fer, remorqueurs, chalands, vedettes, pareils à ceux du Havre ou de Portsmouth. Et voici de lourds cuirassés, des « destroyers » difformes, qui sont peints en ce gris sale, cher aux escadres modernes, et