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qui bouleversent vos appréciations d’avant sur ce peuple rieur.

J’ai subi jadis un commencement d’initiation à cette musique lointaine qui, les premières fois, ne me semblait qu’une débauche de sons incohérents et discords ; de soir en soir, elle me pénètre davantage ; presque autant que la nôtre, elle me fait frissonner, d’un frisson plus incompréhensible, il est vrai ; quand cette femme, aux yeux tout changés, agite fiévreusement sur les cordes la spatule d’ivoire, on dirait que l’ombre des mythes religieux, mal enfermés dans les temples voisins, vient rôder alentour, derrière ces vieux châssis de papier, qui nous font alors des murailles plus assez sûres : dans l’antique maisonnette, toujours plus enveloppée de crépuscule et d’hiver, on sent passer des effrois d’un ordre inconnu… Il y a aussi des instants où la mélodie descend aux notes de basse extrême, devient soudainement rauque, sauvage, et si primitive qu’elle a dû être transmise jusqu’à nous, comme tant d’autres choses nipponnes, par les arrière-ancêtres, établis dans ces îles au commencement des âges. Quand enfin