Page:Loti - La troisième jeunesse de Madame Prune, 1905.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tants, toutes les effrayantes figures des divinités et des guerriers ? Et comment faire marcher de pair cet excès de politesse, de saluts et de sourires, avec la morgue nationale et la haine orgueilleuse contre l’étranger ?…

Les petits thés de cinq heures chez ma belle-mère sont très courus et très sélects. Pendant que le chant de la guitare si tristement sautille, ou gémit à fendre l’âme, de cérémonieuses voisines arrivent sur la pointe du pied, des mousmés fragiles comme des statuettes de porcelaine ; sans bruit elles s’accroupissent à côté de mes jeunes belles-sœurs, pour écouter la musique ou accepter une sucrerie, qu’elles cueillent du bout de leurs bâtonnets. Leurs yeux en amande oblique, si bridés qu’on aurait envie de les fendre d’un coup de canif à chaque coin, ressemblent à ceux des chattes lorsqu’elles ferment à demi leurs paupières par nonchalante câlinerie. Leurs beaux chignons apprêtés et reluisants font leurs têtes trop grosses sur les cous minces, sur les délicates épaules… Et c’est là l’étrange petit monde qui médite de s’attaquer férocement à l’immense Russie ; les