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curieusement du haut en bas ; le colossal spectre blanc, entrevu tout à l’heure à l’arrivée, semble tout à fait une femme drapée dans des voiles, et son immense ombre monte, descend, danse sur les parois de ce lieu un peu effroyable……

Alors on reste confondu devant la raison des choses, devant l’énigme des formes, devant le pourquoi de cette magnificence étrange, édifiée dans le silence et les ténèbres, sans but, au hasard, à force de centaines et de milliers d’années, par d’imperceptibles suintements de pierres.


Au sortir de la grotte, c’est une impression joyeuse que de retrouver l’air pur et chaud du dehors, la verdure des chênes, les grands horizons boisés, la lumière et l’espace ; au lieu de l’humidité sépulcrale d’en dessous, la bonne senteur saine des menthes et des œillets sauvages ; au lieu de la chute goutte à goutte des eaux mortes, dans le silence d’en bas, le bruit gai des torrents, qui sont des eaux vivantes, et, dans le lointain, les clochettes des troupeaux qui rentrent des champs. Pour un instant furtif, on est tout à l’ivresse de respirer et de voir, et le pays d’alentour, si tranquille et si vert, semble un Éden……

Pierre LOTI.
Septembre 1893.