Page:Loti - L’Horreur allemande, 1918.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jours, chacun s’en est acquitté. Dans une zone de plusieurs lieues, les grands poiriers, les magnifiques pommiers centenaires qui représentaient la richesse des paysans, s’arrangeaient en bordure de chaque côté des routes, ou bien en quinconces dans les vergers, — et les gorilles (sans négliger pour cela de faire sauter le moindre hameau), les gorilles ont trouvé le temps de les scier tous à un mètre du sol. Dès que la ramure de l’un chancelait et s’abattait, ils passaient à un autre, sans perdre leurs précieuses minutes à donner le coup de grâce, dans leur hâte de les atteindre tous ; c’est pourquoi beaucoup de ces belles cimes d’arbres, ainsi couchées, se rattachent encore au tronc par quelques lambeaux d’écorce qui leur ont fourni la sève pour refleurir une dernière fois, à leur dernier printemps. On dirait ainsi d’énormes bouquets blancs ou roses, déposés sur la terre. Cette sève évidemment va manquer bientôt ; les fleurs vont se faner sans donner leurs fruits ; mais c’est presque touchant, dans sa mélancolie, toutes ces pauvres floraisons suprêmes d’arbres vénérables qui vont mourir.