Page:Loti - L’Horreur allemande, 1918.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ainsi donner le change avec ces pieuses formules, quand le monde entier maintenant a flairé leur odeur de fauves ?

Lorsque mon esprit s’arrête sur ces deux monstres, je me demande, comme beaucoup d’autres sans doute, ce qu’il peut bien se passer dans les ténèbres de leurs âmes.

Pour nous, qui sommes des êtres humains, quelle énigme que les pensées d’un kaiser, dans le silence de ses nuits ! Le remords, qui suppose une conscience, évidemment lui est inconnu ; mais l’effroi le plus noir ne doit-il pas sans merci le faire claquer des dents ? Car enfin, être celui qui a ensanglanté le monde, qui a fait couler tant de larmes, qui a couvert l’Europe de tant de morts dont la terre à présent regorge ! Se dire que les traces de tant de crimes sont partout inscrites, innombrables et indélébiles, se dire qu’il est trop tard, et qu’il y en a trop pour qu’elles puissent jamais être lavées ; être celui qui a détruit Reims, Ypres, Arras, tous les chefs-d’œuvre des maîtres du temps passé, et qui s’acharne à cette heure contre Venise, cette « Perle Morte », comme on l’a si joliment appelée ; en un mot, être Guil-