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souvenais plus. Et puis, partout aux abords, d’innombrables petites tours Eiffel surgissent des eaux mornes, réductions de celle qui afflige Paris, mais dans le même style, et elles sont reliées par d’affreux réseaux de fils de fer, sur quoi les mouettes méfiantes dédaignent même de se poser. Or, cela, c’est le modernisme, le progrès, la vitesse, l’affolement, la laideur ; bientôt aucun pays du monde n’y échappera plus.

Nous entrons en ville par des canaux bordés de maisons caduques où habitent des pauvres. Mais enfin voici tout de même le Grand Canal, avec les vieux palais vénitiens, en façade tout le long de cette large artère d’eau trouble et dormante. Ils sont toujours beaux, ces palais, mais ils semblent s’être bien délabrés, depuis tant d’années que je n’étais venu, et un soleil trop cruel les détaille à cette heure. Moins de gondoles aussi, beaucoup plus de barques à vapeur et à fumée ; moins de ces pieux, grands comme des mâts, très peinturlurés et très dorés, qui servent à amarrer les barques devant les portes, et qui faisaient partie essentielle du classique décor.