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Quand nous sommes assis en face l’un de l’autre, dans ce lieu de hasard qui est la banalité même, mes yeux ne peuvent plus se détacher des siens. Sa voix est une musique douce et grave ; son sourire découvre ses dents de jeune fille, enchâssées dans le corail de ses gencives d’enfant. On est comme bercé par ses moindres paroles. Oh ! l’exquise créature !

— Il aurait mieux valu ne pas me voir, dit-elle avec une modestie que l’on sent absolument sincère, — parce que j’avais ma petite légende qui m’auréolait un peu et à présent je l’aurai perdue.

J’ai la joie et la fierté d’entendre qu’elle m’a lu, et c’est pour cela sans doute que ses larges prunelles d’un brun roux, qui ne me quittent pas, me regardent jusqu’au fond de l’âme. Et les miennes ont l’intention de lui répondre : « Mais oui, c’est ainsi qu’il faut me regarder, car j’ai, moi aussi, mes légendes qui, au rebours des vôtres, ne m’auréolent pas du tout ; alors regardez au delà, cherchez-moi bien profondément, pour me trouver tel que je suis. »

Celle que, dès qu’on l’a rencontrée, on n’ose plus appeler familièrement par son nom