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pour me voir. D’abord elles font mine de se cacher en riant chaque fois que leurs yeux rencontrent ceux de l’étranger qui les regarde ; ensuite, très vite apprivoisées, elles se rapprochent et commencent à questionner : si je suis Français ou Anglais, quel est mon âge, ce que je suis venu faire tout seul, et ce que j’emporte dans mes caisses ?

Un étonnement me vient tout à coup de pouvoir entendre ce qu’elles me disent, et de savoir, sans trop chercher, faire des réponses qu’elles comprennent ; c’est encore si récent, si peu classé dans ma tête, ce Japon et ce langage japonais ; il y a six mois à peine, c’était un recoin de la terre (le dernier, je crois bien) où les hasards de ma vie ne m’avaient pas conduit, un pays que j’ignorais. Et je ne reconnais plus le son de ma voix dans ces mots nouveaux que je prononce, il me semble n’être plus moi-même.

Ce soir, je les trouve presque jolies, ces mousmés ; c’est sans doute que déjà je m’habitue à ces visages d’extrême Asie. C’est surtout qu’elles sont très jeunes, des petites figures aux traits vagues, comme inachevées, et au Japon le charme de la première jeunesse, de l’enfance, n’est pas contestable. Seulement cette fleur mystérieuse du commencement de la vie se fane plus vite qu’ailleurs ; avec les années tout de suite cela se décompose, grimace, tourne au vieux singe.