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se ranger pour assister à quelque spectacle apocalyptique, à quelque écroulement de mondes.

Au centre, dans la loge d’honneur, sur une fleur de lotus d’or épanouie, large comme la base d’une tour, trône un colossal Bouddha d’or, en avant d’un nimbe d’or qui se déploie derrière lui comme la queue étalée d’un paon monstrueux. Il est entouré, gardé, par une vingtaine d’épouvantails ayant la forme humaine agrandie et paraissant tenir à la fois du diable et du cadavre. Quand on entre par la porte centrale, qui est basse et sournoise, on recule en voyant, presque devant soi, ces personnages de cauchemar. Ils occupent tous les gradins inférieurs de la loge ; ils descendent menaçants jusqu’en bas.

Ils lèvent les bras, ils font des gestes de fureur avec des mains crispées ; ils grincent des dents, ils ouvrent des bouches sans lèvres, roulent des yeux sans paupières, avec une expression intense et horrible. Leurs veines et leurs nerfs, mis à nu, courent sur leurs membres qui sont dessinés avec une vérité anatomique frappante. Ils sont peints en rouge saignant, en bleuâtre, en verdâtre, comme des écorchés ou des morts, en toutes les teintes de la chair au vif ou de la pourriture. Vers l’an 1000 de notre ère, alors que nous en étions, nous, aux saints naïfs des églises romanes, le Japon avait déjà des artistes capables d’enfanter ces hideurs raffinées et savantes.