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(les épaules du Bouddha). Ce n’est qu’après, en levant beaucoup la tête, qu’on aperçoit en l’air cette colossale figure dorée, ces gros yeux fixes, abaissés de trente mètres de haut pour vous regarder avec une placidité niaise.

Je me trouve faire ce pèlerinage en même temps qu’une brave famille nippone de la province, qui visite pour la première fois la ville sainte, et ils n’en reviennent pas, ces bonnes gens, les dames surtout, de voir un dieu si gros ; et ce sont des ah ! des oh ! des exclamations de surprise, des petits cris et des petits rires. Non, vraiment, il est trop drôle ce Bouddha, avec son cou de cigogne et son air bête ; drôle à la manière de ces bonshommes de neige que les gamins font au coin des rues ; drôle à la manière d’une gigantesque caricature, dont on aurait confié la confection à des petits enfants. Et voilà cette bonne petite famille provinciale, riant, sous le nez de ce dieu, riant aux larmes ; ce que voyant, les autres visiteurs et même les bonzes gardiens, commencent à rire aussi. On me regarde, pour savoir quelle figure je vais faire : alors naturellement cela me gagne, c’était inévitable. Quel pays, que ce Japon, où tout est bizarrerie, contraste ! Comment imaginer que ce petit peuple frivole, avec ses révérences et son éternel rire, ait pu vivre des siècles enfermé dans un si farouche mystère, et enfanter des milliers de temples avec leurs monstres et leurs épouvantes ?