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hérissée, griffue, furieuse, enroulée sur elle-même comme prête à bondir.

Dans ces grands temples du fond, on est saisi dès l’entrée par un sentiment inattendu qui touche à l’horreur religieuse : les dieux apparaissent, dans un recul dont l’obscurité augmente la profondeur. Une série de barrières empêchent de profaner la région qu’ils habitent et dans laquelle brûlent des lampes à lumière voilée. On les aperçoit assis sur des gradins, dans des chaises, dans des trônes d’or. Des Bouddha, des Amiddha, des Kwanon, des Benten, un pêle-mêle de symboles et d’emblèmes, jusqu’aux miroirs du culte shintoïste qui représentent la vérité ; tout cela donnant l’idée de l’effrayant chaos des théogonies japonaises. Devant eux sont amoncelées des richesses inouïes : brûle-parfums gigantesques, de formes antiques ; lampadaires merveilleux ; vases sacrés d’où s’échappent en gerbe des lotus d’argent ou d’or. De la voûte du temple descendent une profusion de bannières brodées, de lanternes, d’énormes girandoles de cuivre et de bronze, serrées jusqu’à se toucher, dans un extravagant fouillis. Mais le temps a jeté sur toutes ces choses une teinte légèrement grise qui est comme un adoucissement, comme un coup de blaireau pour les harmoniser. Les colonnes massives, à soubassement de bronze, sont usées jusqu’à hauteur humaine par le frôlement des générations éteintes