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plus l’air de regarder les choses réelles, de s’intéresser à notre monde visible. Du bout de ses tout petits doigts, elle fait de temps en temps mine de prendre sa fourchette pour piquer un bonbon, ou bien elle porte sa coupe de champagne à ses lèvres invraisemblablement rouges. Parfois aussi, quand quelque chose que je ne puis saisir l’étonné ou la contrarie, son expression change tout à coup ; son sourire persiste, mais, pendant un inappréciable instant, une contraction nerveuse pince son petit nez d’aigle, ses yeux deviennent ironiques, ou durs, ou cruels ; ils lancent un commandement bref, un éclair glacé. Et elle est plus charmante alors, et plus femme.

Que d’étonnements et de froissements il doit y avoir encore pour elle, au milieu de ce vertige qui entraine son pays vers des choses nouvelles et inouïes, après des millénaires d’impénétrable immobilité ! Dans son enfance, elle a été sans doute, comme les impératrices anciennes, une espèce d’idole cloîtrée qu’on ne pouvait regarder sans sacrilège ; au palais même, ses serviteurs se jetaient la figure contre terre sur son passage. Et maintenant, emportée comme le Japon tout entier par ce bouleversement sans nom, elle est obligée de se laisser voir par nous, de nous regarder aussi, de nous sourire, de nous admettre à sa table. Qui pourra jamais sonder quelles terribles révoltes d’orgueil en notre présence, ou