Page:Loti - Japoneries d’automne, 1926.djvu/292

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour une entrée d’êtres surnaturels. Et là-bas, au bout de l’allée que je regarde toujours, voici quelque chose d’éclatant qui apparaît, un groupe d’une vingtaine de femmes en costumes inouïs. Éclairées, au fond de ce lointain, par un soleil déjà rougeâtre qui décline, elles arrivent sans hâte, dans le chemin resserré entre la colline de cèdres et l’étang de lotus ; elles se détachent en masse magnifiquement colorée et lumineuse sur le rideau de ces vieux arbres sombres, et l’étang reflète, en longues traînées adoucies, le violet et l’orange, le bleu et le jaune, le vert et le pourpre de leurs toilettes de fées.

Tant que je vivrai, je reverrai cela : dans le recul profond de ces jardins, cette lente apparition, si longtemps attendue ; tout le reste de la fantasmagorie japonaise s’effacera de ma mémoire, mais cette scène, jamais. Elles sont très loin, très loin ; il leur faudra plusieurs minutes pour arriver jusqu’à nous ; vues de la colline où nous sommes, elles paraissent encore toutes petites comme des poupées, — des poupées très larges par la base, tant sont rigides et bouffantes leurs étoffes précieuses, qui ne font du haut en bas qu’un seul pli. Elles semblent avoir des espèces d’ailes noires de chaque côté du visage, — et ce sont leurs chevelures, gommées et éployées suivant l’ancienne étiquette de cour. Elles s’abritent sous des ombrelles de toutes couleurs, qui