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troncs des arbres ressemblant de plus en plus à des colonnes géantes. Mais ce que je continue surtout de voir, ce que je regarde malgré moi presque uniquement, et ce qui est l’étrange caractéristique du lieu, c’est cette tour solitaire. Ses pointes étagées, les retroussements cornus de ses cinq toitures, tout son style d’un autre monde, me donnent une de ces impressions intenses de dépaysement et d’inconnu, qui, de temps à autre, malgré l’habitude des voyages, me reviennent encore avec un frisson, dans les endroits isolés, à la tombée des nuits…


Je me décide à dîner dans un de ces petits restaurants à parties fines où j’ai vu entrer tout à l’heure quelques-uns de ces élégants messieurs coiffés de chapeaux si jolis.

Un froid de loup et une tristesse mortelle, dans cette salle badigeonnée en faux bois où il n’y a pas de feu et où les portes sont ouvertes comme en été. À différentes petites tables, deux ou trois couples en bonne fortune mangent comme moi, à l’aide de fourchettes, en se regardant du coin de l’œil avec l’intention visible de « s’épater » les uns les autres. Les dames sont encore en costume ancien, tournures et chignons comme on en voit sur les potiches ; mais les cavaliers payants ont