Page:Loti - Japoneries d’automne, 1926.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle d’Holbein ; des squelettes qui jouent de la guitare, d’autres qui gambadent, s’éventent, folâtrent, lèvent les jambes avec des airs très évaporés… Je crois bien qu’elle avait de quoi être pensive, cette mousmé mignonne !… Moi, à son âge, ça m’aurait fait une peur affreuse.

De toute cette foule s’élève un bruissement de rires et de voix légères, beaucoup plus discret, plus poli, plus comme il faut que le brouhaha de nos foules françaises.

Le ciel au-dessus de nos têtes est bien un ciel d’hiver, d’un bleu pâli et froid. Les arbres de ce préau, qui sont très âgés et immenses, étendent dans l’air leurs longs bras dépouillés, avec un peu les mêmes gestes que les squelettes dans les images de ce vieux. Au milieu de leurs branches, la tour à cinq étages se lève, svelte et étrange, dessinant sur la lumière froide d’en haut les cornes de ses cinq toitures superposées, tout le découpage de sa silhouette rougeâtre, d’une japonerie excessive. Et enfin le grand temple, hérissé d’autres cornes, et inégalement rouge, d’une couleur de sang qui aurait séché, occupe tout le fond du tableau, avec sa masse carrée, écrasante.

C’est un des lieux d’adoration les plus antiques et les plus célèbres d’Yeddo, cette Saksa. La partie du sanctuaire qui est ouverte aux fidèles et où j’entre avec la foule, semble une sorte de halle,