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prêté, les restaurants de troisième ordre dans nos villes de province. Sur la nappe très blanche, sont posées comme ornement des bouteilles de liqueur à étiquettes américaines, des gerbes de chrysanthèmes, et des corbeilles en verre remplies de kakis (ces fruits d’automne qui ressemblent à de gros œufs en or).

Il a vraiment un air honnête et familial, cet établissement tenu par un vieux monsieur Nippon, sa dame d’un certain âge, et les trois aimables mousmés ses demoiselles. Mais il ne faudrait pas s’y laisser prendre : ici, comme partout, les personnes sont à vendre, aussi bien que les choses. C’est même un lieu qui s’est fait une spécialité dans la capitale pour certains rendez-vous clandestins : lorsqu’un jeune dandy s’éprend follement de quelque guécha (une de ces musiciennes et ballerines formées au conservatoire, qui par raffinement de métier ne se donnent généralement jamais) — eh bien ! ce jeune dandy s’adresse à la vieille dame d’ici, qui d’abord fait sa renchérie, son estomaquée, puis consent enfin à aller amadouer la jolie danseuse et la décide à venir souper chez elle, avec le plus grand mystère par exemple, dans l’un de ces cabinets particuliers, grands comme la main et à parois de papier blanc, qu’elle tient en réserve pour ces cas délicats…